Ricky : François Ozon coupe les ailes du cinéma français.

Par le 11 février 2009

Ricky représente cette année la France à la 59ème Berlinale. À première vue, un bon signe. Inclassable, François Ozon est l’auteur en 2005 du Temps qui reste, mettant en scène une Jeanne Moreau bouleversante en grand-mère de Melvil Poupaud, qui, à 30 ans, apprend sa mort prochaine. Un film remarquable, qui avait été précédé de l’ingénieux 5×2, du théâtral 8 Femmes ou de l’étonnant Sous le sable. Mais aussi suivi du décevant Angel. L’adjectif qui qualifierait Ricky serait plutôt déroutant, voire déconcertant. D’aucuns diront même grotesque. Et ils n’auront pas tout à fait tort.

Second bon signe : la présence de Sergi Lopez au générique, désormais habitué d’un cinéma d’auteur de qualité, que l’on peut d’ailleurs voir à l’affiche de l’excellent Parc, d’Arnaud des Pallières, depuis le 14 janvier.
Une surprise également, en la personne d’Alexandra Lamy, qui revient à ses premiers amours : le genre dramatique. Elle le pratiquait sur les planches, avant de connaître la notoriété avec la série télé « Un gars, une fille », qui la classera dans le registre comique. Elle n’en sort qu’aujourd’hui, après avoir enchaîné les Brice de Nice, Au suivant ! et autres Cherche fiancé tous frais payés… «Parce qu’on ne me propose que ça !» . Le film commence sur une scène d’une rare justesse dans la détresse de la mère qu’elle interprète. Le talent est certain, on en regretterait même le ton léger que le film prendra par la suite.
Si le couple de comédiens porte le film, il ne parvient pas à le sauver. Nous avons pu les rencontrer, ils le défendent bec et ongles sans pour autant nous convaincre totalement.

Comment présenter ce film sans révéler au public qu’il s’agit d’un bébé à qui il pousse des ailes ? «On ne peut pas, sinon il penserait qu’il ne se passe pas grand chose… » Et en effet on ne peut pas. Par souci d’honnêteté. Vous dire qu’il ne s’agit ni d’un drame social, ni d’une comédie dramatique et originale ou d’une fresque familiale, «autant de pistes sur lesquelles nous lance Ozon» , au fil du scénario. Avant la révélation. Peut-être un peu de tout ça, certes, avec une bonne dose de fantastique tout de même. Un genre auquel le cinéma français n’est pas habitué ; le film ne devrait pas révolutionner cet état de fait.

Le pitch consiste en un énoncé simple : un homme et une femme ordinaires tombent amoureux ; ils donneront naissance à un enfant extraordinaire. Paco et Katie sont en effet des gens extraordinairement ordinaires : ouvriers dans une usine de produits chimiques de la banlieue d’Amiens, ils y connaîtront tout de même le coup de foudre, dès le premier regard, bien qu’affublés d’un masque sur la bouche et d’une charlotte sur la tête.
Une pause clope leur donnera l’occasion de faire plus ample connaissance… Très vite, Paco viendra partager le quotidien et le logement HLM de Katie, enceinte, et de Lisa, sa fille de 8 ans. Fillette d’une pâleur spectrale, yeux grands ouverts que jamais un sourire n’éclaire. C’est elle qui donnera son prénom au petit frère à naître : «il s’appellera Ricky» . Et il faudra vous y habituer, le prénom étant prononcé, crié, invoqué, à longueur de journées… et de film, par ses deux mamans. Car de père, il ne sera plus question, mis à la porte par Cathy, persuadée que les hématomes sur le dos de son fils sont le fait de sa maltraitance. Les bosses s’ouvriront pour laisser apparaître des ailes. Vous pensez à un ange et déjà vous vous égarez. Il faudra pour cela lui préférer l’excellente dernière production de Bill Plympton, Des idiots et des anges, film d’animation pour adulte, graphique et méchant.
A Ricky il ne poussera que des ailes d’oiseau. Heureusement, il grandit vite, elles aussi, bientôt lui pousseront les plumes qui le rendront moins monstrueux et plus… aérien. C’est précisément là qu’on entre pleinement dans le grotesque. On achète alors des protections de rollers au bébé, à qui l’on commence à confectionner des habits adaptés à sa morphologie… Le point de non-retour est atteint avec la scène où Ricky s’échappe du caddie dans un hypermarché. S’ensuivra un examen à l’hôpital, à laquelle Katie refuse de confier son fils, avant d’accepter de le livrer à la France toute entière rivée sur son écran de télévision…
On toucherait à la fin s’il n’était pas de bon goût qu’un film pareil finisse sur un happy- end.

Le film de François Ozon, rappelons-le, est tiré d’une nouvelle de la romancière anglaise Rose Tremain, Moth, entièrement remaniée. Il ne consiste donc pas en une œuvre d’imagination de l’auteur, qui n’a pas non plus de message à délivrer. Que signifie ce film ?
Pour Alexandra Lamy, «il porte sur la différence, le couple, l’échec» , pour Sergi Lopez, «sur la place que chacun doit se trouver dans une famille .»

Pour le réalisateur enfin, il s’agit d’un film sur l’instinct maternel : «J’aime les portraits de femmes et je voulais aborder à nouveau le thème de la maternité. Ici on suit le trajet et l’évolution complexe de l’instinct maternel de Katie.» C’est mieux en le disant. Car le sens du film reste une énigme. La volonté était telle : «J’aime laisser les spectateurs libres de ressentir comme ils le souhaitent l’histoire que je raconte et les laisser avoir leur propre interprétation en fonction de leur expérience et de leur histoire personnelles» . Alexandra Lamy renchérit : «Vous avez toutes les possibilités : au moins vous n’avez pas un film qui vous prend par la main, vous avez le droit de penser ce que vous voulez…» . Il les laisse plutôt murés dans un scepticisme muet. Si le thème de la différence est effleuré, il l’est d’une manière si fantasque qu’il peine à trouver une résonance dans l’existence de chacun, quand à l’instinct maternel… Safy Nebbo s’en était lui très bien sorti, avec L’Empreinte de l’ange (août 2008) : Catherine Frot y faisait preuve d’une intuition surréaliste en reconnaissant d’un coup d’oeil sa fille de sept ans en celle de Sandrine Bonnaire, un enfant qu’elle croyait avoir perdu dans l’incendie de la maternité.

Si conte il y a, comme l’évoque la comédienne, raison de plus pour qu’il y ait une morale, une chute, un message. Pour prendre en exemple le film qui aura révélé Sergi Lopez au grand public, Le Labyrinthe de Pan : il s’agissait bien là d’un conte, encré dans la réalité historique, comme Ricky une certaine réalité sociale, sans pour autant faire preuve d’un tel manque.

Tant de moyens déployés pour réaliser un film sans raison, engager des acteurs extrêmement talentueux, dont la complicité crève l’écran, pour les rendre muets : le résultat est décevant, l’incompréhension le disputant à l’exaspération. Sans penser à tous les jeunes (et moins jeunes) réalisateurs qui auraient pu prendre leur envol grâce aux moyens mis en œuvre pour donner naissance à Ricky, vide de sens, non de talent.

Catégorie(s) :

Vous avez aimé cet article ? Partagez-le !

à propos de l'auteur

Auteur : Aurélia Hillaire

Un journalisme passionné et amoureux des mots, la culture comme domaine de prédilection, droit et science politique comme clefs de compréhension du monde. Mes premiers lecteurs sont ceux du magazine culturel Figures libres, à Nancy et à Rouen, courant 2006. Les expériences se multiplieront bientôt en se diversifiant. Un stage au sein de la rédaction d’Arles du quotidien La Provence en 2007 et une expérience de la vidéo, notamment avec une participation au média web alternatif JT du OFF, viendront compléter une pratique quasi-quotidienne… Chroniques mensuelles sur les films à l’affiche dans le magazine des cinémas art et essai Diagonal, critiques théâtrales et responsabilité de la publication du site ruedutheatre.info, chronique Cinéma hebdomadaire sur Divergence FM… Une curiosité qui se conjugue au multimédia et ne demande qu’à élargir encore son horizon : des faits de société à l’actualité internationale, du journalisme judicaire à la critique littéraire…