Joseph, l’histoire énigmatique de l’enfant sauvage du Tarn

Par le 23 janvier 2011

Ce week-end, Haut Courant vous propose une série consacrée aux mystères. Depuis plusieurs siècles, les histoires d’enfants sauvages fascinent les Hommes. Rendu célèbre par François Truffaut, le petit Victor, retrouvé dans les forêts aveyronnaises, était originaire du département voisin : le Tarn. Qui était-il ? Comment a-t-il survécu ? Scientifiques et locaux ont tous leur avis sur la question.

Lacaune a tout d’une petite ville ordinaire. Avec un peu plus de 3 000 habitants, elle est surtout réputée pour sa bonne charcuterie. Mais si, après un copieux repas, les gastronomes s’attardent dans ce village aux toits en ardoise, ils seront surpris par l’histoire singulière d’un enfant de la région.

Cette histoire est celle de Joseph : un garçon sauvage retrouvé dans les bois de la Bassine, à quelques kilomètres de Lacaune. Une partie du musée local lui est consacré et un sentier de promenade lui est dédié. Son aventure surprenante, tous les habitants pourront vous la raconter. Mais attention, les Lacaunais sont susceptibles. Évoquer avec eux Victor, l’enfant sauvage de l’Aveyron mis en scène par le cinéaste François Truffaut, pourrait les froisser. Car dans le petit village chacun sait que Joseph et Victor ne sont qu’une seule et même personne. Et que le célèbre garçon est bien originaire des Monts de Lacaune. Pas du département voisin !

Un enfant abandonné dans la forêt

Tout commence à la fin du XVIIIe siècle. Des bucherons trouvent un jeune garçon dans la forêt. Des villageois l’avaient déjà aperçu. Mais cette fois, ils parviennent à l’approcher et à le ligoter. Joseph, l’enfant sauvage du Tarn vient d’être découvert. Dominique Calas, professeur d’histoire-géographie, s’est passionnée pour ce cas d’école. « Il a été retrouvé nu et avait une grosse cicatrice à la gorge, d’une quarantaine de centimètres. Les scientifiques de l’époque ont estimé que Joseph avait 12 ou 13 ans. » Loin d’être une légende locale, le petit garçon a bien existé. Le mystère reste pourtant entier : qui était-il ? Comment a-t-il grandi dans les bois ?

Sans_titre.png
«Dans un village, il y en a toujours un qui en sait plus que les autres. J’ai toujours entendu dire que c’était l’enfant illégitime d’une Dame noble. Comme on disait à l’époque, c’était un bâtard.» Jean a 90 ans et a vécu toute sa vie à Lacaune. Cet ancien maire a entendu beaucoup de choses sur l’enfant sauvage, mais rien qui n’ait pu être vérifié. Sa version est celle des anciens du village. Geneviève a elle aussi son idée sur la question. « C’était le fils d’un seigneur avec une servante ou une paysanne, qui a été abandonné dans le bois ? » Quelques nuances entre les deux histoires mais une même idée : celle d’un enfant illégitime.

Au XVIIIe siècle déjà, les autorités communales s’interrogeaient sur les origines du garçon. Pour satisfaire la curiosité de la population, et dans l’espoir que quelqu’un le reconnaisse, elles l’exposent à plusieurs reprises sur la place du village. Personne ne sait rien, personne ne dit rien. Après s’être une nouvelle fois échappé, trois chasseurs confient Joseph à une veuve. Celle-ci réussit à l’affubler d’une vieille chemise et à lui faire manger des pommes de terre.

Une adaptation à la vie animale

« Dans les bois, Joseph se nourrissait de glands, de racines. Il semblerait qu’il pouvait flairer ses aliments. Comme un animal, il marchait à quatre pattes et ne craignait pas le froid. » Dominique Calas a consulté les rapports et récits des scientifiques de l’époque. Pierre Joseph Bonnaterre est le premier, en 1800, a avoir étudié le garçon. Ces conclusions insistent sur la capacité d’adaptation de l’enfant dans les bois. « On comprend l’émotion que provoqua cette nouvelle et l’intérêt qu’offrait à une société civilisée la découverte de cet enfant : trouvé nu au milieu d’une forêt, venu on ne sait d’où, victorieux on ne sait comment des rigueurs des hivers ou des attaques meurtrières des bêtes sauvages. »

D’autres scientifiques vont se pencher successivement sur son cas. Certains comme le professeur Pinel voient en Joseph « un enfant idiot ». Le docteur Jean Itard, lui, s’oppose à l’internement de l’enfant dans une institution d’aliénés. Pour Dominique Calas, beaucoup de questions se sont posées sur la santé de Joseph. « Il ne parle pas, certains se demandent même s’il est sourd. Il est aussi insensible au feu qu’au froid. Une hypothèse avance que Joseph aurait pu être un enfant autiste, abandonné à cause de sa maladie. C’est très plausible. »

L’enseignante semble convaincue par cette dernière théorie, même si elle reconnaît que l’abandon après tentative d’infanticide reste possible. « La grande cicatrice sur sa gorge peut laisser penser que quelqu’un ait essayé de l’égorger puis l’ait abandonné dans les bois. » Une seule certitude : l’enfant n’a pas été jeté dans la nature dès sa naissance, mais vers l’âge de cinq, six ans. Ce qui explique plus facilement sa survie.

Plusieurs siècles sont passés et Joseph, devenu Victor, reste toujours un mystère. Il est peu probable que les réponses à ces questions soient découvertes un jour. Mais qu’importe les incertitudes, la légende de Joseph fascine encore les Lacaunais. Ils continueront à transmettre aux nouvelles générations l’histoire de Joseph, l’enfant sauvage de la région.

Catégorie(s) :
Étiquettes : , , ,

Vous avez aimé cet article ? Partagez-le !

à propos de l'auteur

Auteur : Elodie Calas

Originaire d'un petit village tarnais, rien ne me prédestinait à m'orienter vers le métier de journaliste. Après un bac économique, une année d'hypokhâgne à Toulouse a suffit à me convaincre de rejoindre les bancs de la fac de droit. Et, après une courte expérience juridique, c'est finalement vers les sciences politiques (L3 et Master 1) que je me suis dirigée. Mon envie d'appartenir au cercle étroit des journalistes n'est pas nouvelle, mais ce n'est que cette année que mes ambitions professionnelles se ressentent, enfin, sur mon orientation universitaire. Comment expliquer ce choix du journalisme? Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui voient dans les journalistes de vicieux vautours manipulateurs, prêts à tout pour obtenir un scoop et l'étaler sur la place publique. Peut-être dois-je remercier ces détracteurs, car ce sont eux qui m'ont convaincu de persévérer dans cette voie. Et tenter de redonner ses lettres de noblesse au journalisme. Après tout un journaliste n'est-il pas ce contre pouvoir qui donne aux citoyens les clés indispensables à la compréhension d'une société ? Naïve ? Non, pas vraiment. Idéaliste ? Sans aucun doute...