La science politique comme science expérimentale : comment faire voter les abstentionnistes ?

Par le 22 janvier 2013

Le 16 janvier, une conférence intitulée « La science politique peut-elle être une science expérimentale ?  » était présentée par Jean-Yves Dormagen au centre Rabelais, dans le cadre de l’Agora des Savoirs.

Mercredi dernier, Jean-Yves Dormagen, professeur et directeur du département de science politique de l’Université de Montpellier 1, présentait les résultats d’une étude au sujet de la mal-inscription [[La mal-inscription concerne les personnes en âge et en situation de voter qui sont inscrites sur les listes électorales dans un bureau de vote qui ne correspond pas à celui de leur habitation.]]et de la non inscription[[La non inscription concerne les personnes en âge et en situation de voter qui ne sont pas inscrites sur les listes électorales. sur les listes électorales.]]
Pour l’occasion, environ 200 personnes s’étaient déplacées au centre Rabelais de Montpellier. L’expérimentation avait pour but de montrer que les citoyens ont plus tendance à se mobiliser pour des élections lorsqu’ils sont inscrits dans les bons bureaux de vote. Elle a porté ses fruits.

Des résultats concluants

Tout est parti d’un constat, en 2002, dans le cadre d’une étude sur l’abstention que Jean-Yves Dormagen menait, avec la sociologue Celine Braconnier [[Braconnier Céline, Dormagen Jean-Yves, La démocratie de l’abstention : Aux origines de la démobilisation électorale en milieux populaires, Gallimard, 2007]], à la cité des Cosmonautes (Seine-Saint-Denis). La mal-inscription et la non inscription sur les listes électorales s’imposent comme des critères favorisant l’absence de vote chez la population observée . Le sociologue montpelliérain a tenu à se pencher plus amplement sur le sujet en imaginant une expérimentation basée sur un travail de terrain.

Dans un premier temps, des campagnes de porte à porte et d’aide à l’inscription à domicile ont engendré des augmentations allant jusqu’à 50% d’inscriptions supplémentaires sur les listes électorales. Dans un second temps, l’étude, qui s’attardait sur le comportement électoral de la population sensibilisée montre que, parmi ces nouveaux inscrits, le taux de participation aux élections présidentielles de 2012 est supérieur à la moyenne nationale. Après près d’une heure de présentation Jean-Yves Dormagen conclura : « Quand on a juste la rue à traverser, aux présidentielles, on est presque toujours votant. »

Bien sûr, les résultats sont à nuancer puisque le protocole d’enquête entraînait la formation de sept groupes distincts aux caractéristiques sociologiques identiques. Dans le premier groupe, aucune action n’a été menée. Il est ce que le chercheur appelle « le groupe témoin » (composé de deux fois plus de citoyens que les autres dans un souci de précision). Les autres ont subi – « bénéficié », corrigera le sociologue – de diverses combinaisons de mobilisations menées soit en octobre/novembre 2011, soit lors de la deuxième moitié du mois de décembre, soit lors des deux périodes. Si tous les protocoles d’enquête ne montrent pas les mêmes conclusions (certains vont du simple au double en ce qui concerne le nombre de nouveaux inscrits, par exemple), tous appuient la thèse du sociologue et constituent une démonstration de sa viabilité.

« Voir les résultats du travail qu’on a fait, c’est gratifiant »

L’étude de Jean-Yves Dormagen, menée courant 2011, était basée sur des campagnes de porte à porte et d’aide à l’inscription à domicile dans 12 villes. En tout, 48 bureaux de votes, particulièrement abstentionnistes ont servi de terrain à l’expérimentation. Sur un total de 38000 citoyens abordés, un tiers habitaient à Montpellier. Ce travail fastidieux a regroupé 230 mobilisateurs, composés d’étudiants de militants et de membres d’associations.

Johnny est étudiant en deuxième année de master à l’université Montpellier 1, il a participé, l’année dernière au travail de terrain dans les quartiers de la Mosson et de Près d’Arène, à Montpellier. Il se réjouit de la conférence : « Voir les résultats du travail qu’on a fait, c’est gratifiant. Ça n’a pas servi à rien, on en a tiré des chiffres et des analyses. Jean-Yves Dormagen a montré ce qu’il voulait montrer : la science politique peut être une science expérimentale. » Il revient également sur le chiffre lancé par le sociologue selon lequel les étudiants, dont certains étaient présents dans la salle, ont été deux fois plus efficaces que le reste des mobilisateurs. « Ce n’est pas vraiment étonnant, avance-t-il. La caution morale des étudiants est beaucoup plus intéressante. Pour les militants, on se pose la question de la partialité, pour les associations, on ne sait pas trop à qui on confie ses papiers… En se présentant dans le cadre d’un travail universitaire, c’est beaucoup plus facile pour obtenir la confiance des gens qu’on aborde. »

Au final, aux alentours des 22h30, les applaudissements sont fournis et les discussions vont bon train dans le hall du centre Rabelais de Montpellier. Les spectateurs semblent convaincus même si, Jean-Yves Dormagen le rappelle, « Il ne faut pas s’arrêter là, une expérimentation comme celle-ci doit servir de levier à un débat citoyen. »


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à propos de l'auteur

Auteur : Pauline Chabanis

En 1988, alors qu’Etienne Chatiliez racontait sur grand écran l’histoire trépidante des familles Groseille et Le Quesnoy, je vivais les premières minutes d’une vie qui n’aurait rien d’un long fleuve tranquille. En réalité, de Lyon à Montpellier, en passant par Cannes, j’ai plutôt ricoché. D’un naturel pragmatique et rigoureux, je me tournai très vite vers une filière scientifique, jonglant avec les chiffres, jouant avec les équations. J’étais le Fred de la fonction affine, le Jamy de la masse molaire et je n’y trouvais vraiment rien de sorcier. Puis je me suis rendue compte que les expériences les plus enrichissantes ne se faisaient pas dans des laboratoires mais à travers des rencontres et un partage d’informations. Je n’ai pas eu d’appel, de vocation ; le journalisme ne s’est pas imposé comme une évidence mais comme une alternative envisageable. Une voie possible que j’ai empruntée, d’abord à tâtons en intégrant l’IUT journalisme de Cannes, puis d’un pas décidé lorsque j’ai réalisé, à travers des stages variés, que ce milieu me convenait. Curieuse et déterminée, je ne m’imagine pas en Indiana Jones de l’information, casse-cou et engagée mais en ouvrière discrète de la société. Je ne veux pas de fabuleux destin télévisé, juste une toute petite place en presse spécialisée… sans en faire tout un cinéma.