« La seule chose qui intéresse le Hamas, c’est de garder le pouvoir »

Par le 6 février 2009

Ces derniers mois, l’Égypte a réaffirmé son rôle de médiateur dans le conflit israélo-palestinien. En décembre dernier, Gaza était le cœur de violents affrontements entre le Hamas et l’armée israélienne. Hosni Moubarak – le Président égyptien – a mené de front des négociations houleuses. Il est à l’origine d’un plan de paix, notamment soutenu par Nicolas Sarkozy. Le Consul Général d’Égypte en France, Hoda Naguib, a accepté de nous éclairer sur la position de l’Égypte, dans ce conflit vieux de plus de 60 ans.

Pourquoi l’Égypte s’investit-elle autant dans le conflit israélo-palestinien?

Hoda Naguib : Il y a un lien historique entre l’Égypte et la Palestine. Nous avons été en guerre contre Israël à quatre reprises. Plus de 100 000 martyrs y ont laissé leur vie. Et nous avons été le premier pays arabe à signer un Traité de Paix avec cet État[[La Jordanie a emboîté le pas à l’Égypte, en 1994, en signant un Traité de paix avec Israël. A ce jour, ce sont les deux seuls États arabes à l’avoir fait.]], en 1979. Ce conflit n’est pas vraiment israélo-palestinien, mais plutôt israélo-arabe. C’est pourquoi l’Égypte joue ce rôle depuis très longtemps.

Dimanche 25 janvier, les pourparlers organisés au Caire ont conduit à une trêve entre les deux parties. Elle est encore en négociation, mais elle semble déjà fragile. Aujourd’hui, les bombardements continuent. Que penser du cessez-le-feu ?

H. N. : L’Égypte travaille des deux côtés pour les inciter à cesser les bombardements. La situation s’aggrave. Mais il y a des conditions à respecter pour une paix durable. Il faut qu’Israël se retire de Gaza, que les passages frontaliers rouvrent leurs portes, il faut supprimer le blocus, et le Hamas doit également arrêter de tirer ses roquettes… Si l’une de ces conditions n’est pas respectée, le cessez-le-feu se fragilise.

Vous êtes optimiste ?

Oui. Je suis toujours optimiste. Sinon on ne peut plus avancer. Et puis je pense à l’histoire. A l’époque où l’Égypte était en guerre contre Israël, on n’aurait jamais cru que nos pays signeraient un Traité de paix. Il faut maintenir les relations. Ne pas rester dans son coin.

Hosni Moubarak a été accusé d’avoir pris connaissance de l’opération « Plomb durci »[[« Plomb durci » est le nom de l’offensive israélienne qui s’est déroulée du 27 décembre 2008 au 18 janvier 2009, dans la bande de Gaza.]], deux jours avant qu’elle ne soit lancée, lors de sa rencontre avec Tzipi Livni, ministre des affaires étrangères israélienne. Qu’en est-il ?

L’Égypte a vu la situation se dégrader à Gaza. On a donc appelé la ministre des affaires étrangères israélienne pour en discuter. Israël a annoncé qu’elle se rendrait au Caire, je crois que c’était pour le jeudi qui suivait… Pendant ce temps, le Hamas s’est mis à tirer toujours plus de roquettes vers Israël. La situation a empiré.

Cette réunion a été organisée pour calmer le jeu. Et pour que les dirigeants israéliens fassent preuve de retenue. En réalité, l’Égypte a simplement assumé son rôle vis à vis des palestiniens. Et Hosni Moubarak n’a jamais été au courant de l’opération qui se tramait. De toute façon, les pays ne dévoilent jamais ce genre de chose, cela ne se fait pas.

Comprenez-vous les suspicions du Hamas ?

Pour moi, ceux qui critiquent cette réunion sont dans la surenchère, et ne font rien pour aider le peuple palestinien. La seule chose qui intéresse le Hamas, c’est de garder le pouvoir, de créer un État avec ses idées et ses principes. Mais ce n’est pas le bien de la population palestinienne.

Lors de l’opération « Plomb durci », l’Égypte a fermé ses frontières pour éviter le passage d’armes de contrebande en Palestine. La population s’est retrouvée bloquée…

Non, l’Égypte n’a pas fermé ses frontières avec Gaza, mais l’aide humanitaire était prioritaire. Il faut savoir que cette frontière ne représente que 14km. Il y a beaucoup d’autres passages. De notre côté, nous avons laissé passer un grand nombre d’ambulances et de voitures de médecins. Je n’ai pas les chiffres en tête, mais tout cela est répertorié… De plus, des centaines de blessés palestiniens sont venus se faire soigner dans des hôpitaux égyptiens. Il y a eu 800 personnes, ou quelque chose comme ça, sans compter les accompagnants.

En marge du Sommet économique arabe, au Koweït, les dirigeants égyptiens et saoudiens ont rencontrés leurs homologues du Qatar et de Syrie. Il était question de réconciliation[[Dans le monde musulman, des divergences politico-religieuses séparent les pays dits « modérés » (Égypte, Jordanie, Arabie Saoudite…), des « radicaux » (Syrie, Qatar, Iran…), plus proches des convictions du Hamas.]]. Quels sont « ces arrangements convenus entre les quatre dirigeants » dont parlait le Premier ministre qatari ?

Effectivement, il y a eu beaucoup de divergences de points de vue entre nous. Le sommet économique a ouvert la porte à une réconciliation entre nos pays. Il a été question de la reconstruction de Gaza. Là bas, toutes les infrastructures sont détruites. D’ailleurs, le Qatar et l’Arabie Saoudite ont déjà débloqué des fonds. Ces questions seront approfondies lors de la Conférence Internationale pour la reconstruction de Gaza, le 2 mars au Caire. Elle regroupera des ministres des affaires étrangères de plusieurs pays et des donateurs.

Le Qatar et la Syrie seront représentés ?

Je ne sais pas. Les participants ne se sont pas encore déclarés. Mais je crois que tous les ministres ont été invités.

Le Hamas a des liens avec les Frères Musulmans, dont se méfie le gouvernement égyptien. Peut-on dire que l’Égypte s’investit autant dans ce conflit car elle craint que ces groupes radicaux ne prennent de l’ampleur ?

Oui il y a de ça, je suis d’accord. Mais ce n’est pas la première des priorités.

L’Égypte n’intervient pas dans une lutte idéologique contre le Hamas. A Gaza, et en Cisjordanie, ce sont des élections qui mettent au pouvoir tel ou tel dirigeant. Nous travaillons seulement pour une réconciliation inter-palestinienne[[Le Fatah, fondé par Yasser Arafat (1929-2004), dirige encore l’Autorité Palestinienne en la personne de Mahmoud Abbas. Mais la victoire du Hamas aux législatives de janvier 2006 a remis en cause son autorité. Après une guerre de leadership, en juin 2007, le Président et son parti se sont retranchés en Cisjordanie. Mahmoud Abbas a alors dissolu le gouvernement d’union nationale. Depuis, le Hamas contrôle Gaza. Et les deux partis ne parviennent toujours pas à se rapprocher. Lundi 12 janvier, Mahmoud Abbas a appelé à reconstruire un gouvernement « d’entente nationale » pour organiser des législatives et des présidentielles simultanées.]].

Dès le départ, l’Égypte s’est prononcée pour la création de deux États ; l’un israélien, l’autre palestinien. Mais aujourd’hui, les palestiniens se battent entre eux. Les rapprocher, c’est l’essentiel.

Les échéances électorales ont une part de responsabilité dans l’intensité des derniers affrontements…

Je pense qu’Israël a très bien profité de cette période. La popularité de Ehud Barak (ndlr: ministre israélien de la Défense) est en hausse, et Ehud Olmert (ndlr: Premier ministre israélien) a voulu quitter son poste en vainqueur aux yeux de la population israélienne.

Du côté palestinien également. Mahmoud Abbas était censé terminer son mandat le 9 janvier 2009. Qu’en sera-t-il ?

Mahmoud Abbas, lui, se trouve dans une situation différente. Selon la Constitution palestinienne les élections présidentielles et législatives doivent se dérouler en même temps[[Mahmoud Abbas a été élu à la présidence de l’Autorité Palestinienne en janvier 2005, pour 4 ans. Son mandat est arrivé à terme. Mais il souhaite des élections législatives et présidentielles simultanées, comme le stipule leur Constitution. Jusqu’à présent, le Hamas les refusait. Les deux dernières élections avaient été décalées d’une année. Étant élus depuis 2006, ses députés peuvent donc siéger jusqu’au mois de janvier 2010. La Constitution le leur permet aussi.]]. Mahmoud Abbas va donc rester à la tête de l’Autorité palestinienne. Il souhaite reformer une Autorité d’Union Nationale. Mais cela reste complexe. La situation n’est pas très favorable.

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